De l’arc au chinois
Sylvain Bessierre est chasseur, archer, cuisinier, implanté en Bretagne, près de Rennes… Il serait aisé de dire qu’il a plusieurs cordes à son arc mais sa démarche est surtout logique, d’un fil à l’autre…
DT : Sylvain Bessierre, depuis combien de temps tirez-vous à l’arc ?
SB : J’ai commencé voici une quinzaine d’années mais j’ai arrêté durant près de dix ans. J’ai fait d’abord trois ans de tir sur cible avec un arc classique, ensuite j’ai arrêté. Je m’ennuyais un peu en cible. Et puis, je suis revenu depuis trois ans au club de Betton.
DT : Mais là, en tirant avec un arc chasse…
SB : Oui pour faire du 3D car j’aime bien le coté nature. On est dehors, on tire sur des cibles sous forme de gibier. Et puis ça se rapproche de la chasse même si la cible ne bouge pas ! C’est beaucoup plus ludique !
DT : Mais vous pratiquiez la chasse auparavant ?
SB : Depuis que j’ai dix-huit ans. Mon père m’a appris à chasser au fusil et j’ai passé mon permis. Ensuite, j’ai arrêté la chasse au fusil durant sept ans et c’est l’arc qui m’a redonné le goût de chasser. Aujourd’hui, je prends beaucoup plus de plaisir même si la gibecière est vraiment plus petite ! La chasse au faisan, à qui on est obligé de donner un coup de pied pour qu’il s’envole, ne m’intéresse pas ! Avec un fusil, le gibier a 10 % de chance de s’en sortir alors qu’avec un arc, il a 90 % de chance de rester vivant ! A l’arc, tu n’as droit qu’à une flèche, au fusil on a deux ou trois cartouches. Avec ce dernier, on peut tirer à cinquante mètres, là à l’arc, on tire à vingt mètres au grand maximum, voire plutôt à dix, quinze mètres…
DT : Au fusil, quels étaient vos gibiers préférés ? Et maintenant à l’arc ?
SB : Avec le fusil, je ne chassais que du petit gibier : lapin, faisan, perdrix, lièvre, renard... A l’arc, je fais de même avec en plus le ragondin. J’aime tout particulièrement le lièvre ! Même au fusil, c’est le beau tir, comme on dit et la pièce est séduisante. Le lapin aussi car il est très rapide. Même le faisan au vol... J’ai un ami qui en a fait un dernièrement, c’était propre avec une flou-flou! Il faut bien le prendre et il a été applaudi par tous les confrères, ce n’est pas évident. Cette année, je me lance dans la plume au flou-flou et l’année prochaine, je vais essayer le pigeon.
DT : Vous faites partie de l’Association des chasseurs à l’arc d’Ille-et-Vilaine…
SB : En effet, nous sommes une bonne cinquantaine dans l’association. C’est dynamique avec une bonne ambiance et nous cohabitons facilement avec les chasseurs fusil. Il y a cinq ou six ans, ils nous prenaient pour des ‘’Indiens’’ mais aujourd’hui, avec la chasse au gros par exemple, ils sont surpris par un sanglier de 110 kilos tué par une flèche. Ca reste impressionnant. Dernièrement, lors d’une chasse au lapin et au faisan, certains d’entre eux ont essayé de bander un arc et ils ont été surpris car c’est beaucoup plus physique que le fusil.
DT : Parallèlement, vous continuez de tirer au club de Betton et à faire du 3D ?
SB : Oui, je trouve ça très agréable et j’aime bien le côté convivial qui existe au club. C’est aussi un bon entrainement pour la chasse. C’est important !
DT : Avec quel arc chassez-vous ?
SB : Je tire avec un arc Chiffoleau, le Saramaca, c’est un ‘’static recurve’’ de 48 livres avec des doubles courbures. D’une part, ce modèle m’avait tapé dans l’œil et puis l’arc précédent était de la même puissance mais plus dur à tirer, je fatiguais beaucoup plus. Celui-ci est plus souple et très puissant. Par contre, très exigeant, il demande à être très précis dans son geste. A la chasse, nous sommes moins rigoureux de ce point de vue là qu’en 3D et c’est un problème qu’il faut travailler. Nous sommes dans l’action, on peut se laisser surprendre par le gibier et on oublie le geste final, la décoche qui fait qu’on est à côté !
DT : On trouve beaucoup d’arcs chasse chez les chasseurs de votre association ? Certains possèdent des arcs de facteur ?
SB : Oui beaucoup tirent avec un arc chasse pour le petit gibier. Le ‘‘poulies’’, pour le gros gibier. Après, au sein de l’association, peu de chasseurs possèdent des modèles réalisés par des facteurs... Bon nombre d’entre eux achètent un arc, le revendent au sein du groupe. Il y a quand même un gros souci au niveau du matériel, on ne peut pas nécessairement essayer les arcs avant de les acheter. Moi, j’ai eu la chance de le faire avec ce modèle là car quand on commande un arc à un facteur, il ne vaut mieux pas se planter vu son prix. Le problème est là !
DT : En dehors de la chasse, vous pratiquez un métier qui a certain rapport avec le gibier…
SB : En effet, je suis boucher, charcutier, traiteur à Rennes. Aujourd’hui, je transforme le gibier en faisant des terrines, des bocaux, des plats cuisinés. Au moment des fêtes, je prépare souvent du lièvre à la royal avec du foie gras que je cuisine avec de grands vins. C’est extraordinaire. Super bon ! J’utilise régulièrement des lapins, des lièvres que j’achète et que je transforme dans ma boutique. Si je gardais les peaux, je pourrais dire à ma femme que j’ai beaucoup chassé, elle serait super contente !
DT : Et le produit de votre chasse ?
SB : C’est uniquement pour les copains et moi ! Nous chassons souvent à deux et si on fait un gibier, c’est ensemble, on le mange ensemble. Cela permet aussi d’évoquer des anecdotes tout en dégustant un bon vin… Ce côté là de la chasse doit rester convivial.
DT : Qu’est-ce que vous apporte le fait de cuisiner le gibier que vous avez ramené ?
SB : J’ai l’habitude de cuisiner tous les jours mais j’ai vraiment du plaisir à apporter le plat sur la table. Parfois les gens ne connaissent pas le goût de tel gibier ou même n’en ont jamais mangé. J’essaye de faire découvrir des saveurs différentes et de créer des nouveautés, des spécialités. Du coup, j’aime réaliser de nouvelles recettes comme les rillettes de pigeons par exemple.
DT : L’ensemble de vos pratiques, du tir à la cuisine forment une logique, non ?
SB : C’est une continuité. Si on revient à quelques centaines d’années auparavant, on chassait et cuisinait ensuite et c’était la seule chose qu’ils avaient pour vivre. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Du point de vue gustatif avec, par exemple, un garenne sauvage, il n’y a pas photo ! Il a une saveur supérieure à un lapin d’élevage car il n’a mangé que de l’herbe, des choses naturelles. Pour moi, aller jusqu’au bout est une forme de respect. Du tir, de l’entrainement à la cuisine, à la dégustation. J’ai la chance de m’entrainer, de chasser et de transformer. Certains ne mangent pas leur gibier car ils ne savent pas faire. Il faut en effet savoir plumer un faisan, dépouiller un lièvre !
DT : Ce sont des gestes perdus ?
SB : Pas pour le chasseur mais pour le grand public, oui. Je vends du gibier en tant que professionnel, et les clients veulent des pièces toutes prêtes, sans poil, sans plume. C’est comme la viande sans os et le poisson sans arête !
Didier Teste
Les recettes de Sylvain Bessierre :
lapin de garenne au beurre (Nous sommes en Bretagne).
Il faut donc le détailler c'est-à-dire le couper en morceaux, le faire revenir au beurre gentiment dans une sauteuse avec une légère coloration. Une fois fait, on le retire. On prend 4 ou 5 échalotes que l’on fait revenir doucement, on déglace avec du vin blanc. On mouille ensuite avec du jus de veau ou de volaille. On rajoute les morceaux de lapins. Il suffit ensuite de placer le tout au four 25 à 30 minutes en fonction du lapin. Si c’est un jeune de l’année, c’est extra tendre. Pour l’accompagnement, il faut faire des légumes de saison, cuisinés au beurre, comme en ce moment, une embeurrée de choux verts avec au centre un mirepoix de carottes.
Je ne cuisine jamais un gibier le jour même. Si je l’ai tué le dimanche, je le cuisine le mercredi. Avant, quand j’étais gamin, on laissait un lièvre pendu 8 à 10 jours à la porte des fermes. Il commençait à sentir bien fort ! Pour un civet de lièvre, on le cuisinait au vin rouge, aujourd’hui ce serait plutôt avec du vin blanc. On recherche quelque chose de moins fort, de plus raffiné.
Je vous propose une deuxième recette : la terrine de lièvre
Préparer les ingrédients :
- 1,2 kg de viande de lièvre
- 300g de maigre de porc
- 600g de gorge de porc
- 40g de gros sel
- 5g de poivre
- 2 œufs
- 2 oignons
- 10 cl de cognac
- 20 cl de vin rouge
- 1 crépine
- estragon et cerfeuil (facultatif)
- Bouquet garni
Faites confire les oignons à feu doux. Pendant ce temps, découper 1/3 de viande de lièvre en lèche (petit cube ou hacher en grosse grille pour faire des marquants). Une fois l'oignon confit, ajouter le foie du lièvre flambé avec le cognac et ensuite, vos herbes aromatiques.
Hacher la viande de porc et le reste de lièvre, le gratin d'oignon et de foie assaisonné, mettre les œufs et le vin*. Pétrir, mouler dans vos terrines et crépiner sur le dessus. Laisser reposer 12 heures minimum au frigo. Le sortir une heure avant la cuisson, cuire au four au bain-marie 20 minutes à 140°C. Ensuite baisser le four à 90°C jusqu'à l’obtention à cœur de 72°C. Laisser refroidir 24 heures minimum et… bonne dégustation !
*si vous avez les os du lièvre, vous pouvez faire un jus avec les os, le bouquet garni. Faites revenir et mouiller avec 20cL de vin et 40cL d'eau. Laisser cuire ¾ d'heures. Passer au tamis pour récupérer le jus que l'on va mettre dans la terrine à la place des 20 cl de vin.